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vendredi 11 novembre 2011

Pourquoi je pleure sur l’école de la République

Pourquoi je pleure sur l’école de la République

Par CLARA DA SILVA Mère et enseignante (désespérée) de philosophie et de cinéma au lycée de l’Essouriau des Ulis (Essonne)
Hier, j’ai trouvé deux avis dans ma boîte aux lettres concernant mes enfants. L’un, de l’école primaire, avec cette phrase absconse : «Beneylu Jim se fera une joie de vous accueillir à l’adresse : www.beneyluschool.net». L’autre, du collège : «Objet : mise à disposition de téléservices.» Il commence ainsi : «En tant que personne détentrice de l’autorité parentale, vous pouvez désormais mieux suivre la scolarité de vos enfants en utilisant les téléservices de consultation des notes…»
Je reçois comme un coup au cœur. Je me mets à pleurer. Je suis une mère, pas une «détentrice de l’autorité parentale». Et je refuse cette évolution. Parce que le problème, avec l’évolution, c’est qu’elle n’est pas nécessairement un progrès. L’utilisation aveugle du numérique renvoie à un monde à la sémiotique effrayante. Un monde dans lequel on «valide» des «items» en un simple «clic», un monde dans lequel on «renseigne» des «champs», on «s’identifie», avec des «codes», des «mots de passe». Un monde où (selon beneyluschool.net) «vous savez donc toujours qui se trouve derrière son clavier», où tout est en réalité surveillé et opaque : un monde de cauchemar.
C’est ce basculement dans Orwell qui me fait pleurer, le sentiment que nous en sommes là sans que personne, ou presque, ne s’en aperçoive - au nom d’une prétendue «commodité», par une série de menus déplacements lexicaux, que les faciès décérébrés de la télé assènent sans jamais interroger. Oui, l’école de la République, par crainte d’être has been, est en train de nous entraîner là, les yeux fermés.
J’entends d’ici les cris d’orfraie. Comment peut-on s’offusquer de tous ces progrès? Comment peut-on ne pas vouloir posséder de smartphone et ne pas être géolocalisable à tout instant? Ne pas accepter d’avoir de gentils amis sur Facebook, de contrôler (pardon, de checker) d’heure en heure le parcours de son enfant sur l’échelle du «socle commun», comment peut-on lui interdire la télé et toutes les consolations des consoles ? Comment peut-on, si jeune, être à ce point ringard ?
C’est que je ne me méfie pas de mes enfants. Je leur fais confiance. Ils ont le droit de me mentir, de ne pas dire qu’ils ont eu une mauvaise note. Ils ont le droit de penser du mal de moi, d’avoir des secrets qui m’inquiètent. J’ai le temps de faire face à cette inquiétude, d’attendre un bulletin de notes. Qu’est-ce donc que ce monde qui, en fichant, sous le prétexte de l’ouverture d’un merveilleux «espace numérique de travail», fabrique à la fois du définitif et de l’immédiat ? Qu’est-ce donc que ce monde disjonctif qui, d’un côté, lâche ses enfants, plusieurs heures par jour, dans la gueule ouverte des écrans plats et, de l’autre, passe son temps à les fliquer, en un joyeux et coercitif «surf» du doigt ?
Dans l’enseignement, que j’ai décidé de quitter par fatigue des adultes abêtis, j’ai vu ces dernières années monter en puissance cette peur de l’élève, toujours potentiellement tricheur, cette obsession du contrôle chiffré. L’élève, l’enfant, est devenu une menace, à mesure que chancellent le savoir et l’éducation.
Mais ce n’est pas des enfants dont il faut se méfier, c’est de l’usage des écrans, des images, et surtout des mots qui les accompagnent. L’école contribue désormais à l’éclatement de l’intelligence critique, elle qui était censée la former. S’il n’est pas question de revenir en arrière (sauf à passer comme moi pour une intégriste donneuse de leçons), il est urgent, vital, que les enseignants soient à nouveau formés, non aux atroces sciences cognitives - responsables du projet de tri à la maternelle -, mais à la critique de l’écran, et pas seulement à son usage hébété. Il existe, bien entendu, un usage éclairé de l’image, comme il existe un usage éclairé du langage. C’est à cela que doit servir l’école de la République : à ne pas être dupe d’un journal télévisé, d’une publicité, d’un bulletin de notes, à se révolter contre la bêtise, contre l’injustice, c’est-à-dire, en un mot, à devenir vraiment libre.
Je refuse donc que des informations nominatives concernant les enfants circulent sur Internet (voir les difficultés d’application de la loi «informatique et libertés»). Je refuse que des pratiques de fichage bien intentionnées s’insinuent jusque dans l’éducation. Je refuse que la «communication» l’emporte sur le langage, «l’information» sur la poésie, la bêtise sur l’intelligence. Je refuse, j’essaie de résister, j’y laisse des forces et j’en pleure. «Elever», c’est «veiller sur» et non pas surveiller.

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