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mercredi 8 février 2012

3, 2, 1, Lançons-nous !

Je mets ici un article de ma composition qui vient de paraître dans "Le Nouvel Educateur" de février, (la revue de l'ICEM), 



3, 2, 1,  Lançons-nous !



Ceci n’est pas le témoignage d’un praticien de la pédagogie Freinet installé dans une école depuis plusieurs années et à ce titre riche d’une expérience liée à un territoire précis. Je n’ai pas non plus assez de bouteille. Depuis huit ans que je suis enseignant, je n’ai jamais passé plus de deux années scolaires dans le même établissement, ni n’ai jamais enseigné deux ans de suite au même niveau ou au même cycle. A chaque rentrée scolaire, il s’agit donc pour moi, en premier lieu, de m’adapter aux pratiques qui ont cours dans l’école où je suis affecté.

Mais ce « tourisme pédagogique » forcé, complété par six mois de « Brigade remplacements courts », a aussi un bon côté : je pense qu’il me permet de rejeter, plus ou moins en connaissance de cause, de nombreuses pratiques comme tristes et inefficaces et, à l’inverse, d’adhérer chaque jour davantage aux principes et aux pratiques de la pédagogie Freinet. C’est de cela dont je voudrais témoigner.

A mon sens, le quotidien de nombreuses classes aujourd’hui ne consiste qu’en l’exécution mécanique et ronronnante d’un programme exclusivement décidé par le maître ou la maîtresse. Le matin, un texte insipide ou trop difficile, c’est selon, conduit à dégager une règle d’orthographe ou de grammaire dont tout le monde se fiche, l’enseignant le premier. La règle appèle ensuite des exercices d’application à faire sur le cahier du jour. Les élèves les plus rapides bénéficient d’une correction individuelle et peuvent, en attendant, colorier la page de garde de leur cahier d’anglais, aller jouer sur l’ordinateur ou, au mieux, continuer la préparation d’un exposé sur leur chat… Les élèves dits « en difficulté » galérent tranquillement en tentant de saisir au vol quelques coups de pouce lancés à la cantonade par la maîtresse –jusqu’à ce qu’il soit l’heure de passer aux mathématiques. L’après-midi, la photocopie de la page d’un manuel d’Histoire / Géo Cycle 3 sert de support à une leçon de « Culture Humaniste » (sic !) sur la diversité des paysages européens. En fin de journée, quinze élèves passent à la chaîne réciter la poésie sur l’automne qu’ils ont été sommés de copier et d’illustrer la semaine précédente. Certains, le soir venu, auront la joie d’annoncer qu’ils ont eu 20/20 en récitation. Cela ne changera de toutes façons rien au texte sur l’automne, insipide ou trop difficile, c’est selon : tout le monde s’en fiche.

Et le maître aura passé son temps à demander le silence, l’écoute, la concentration… Il aura peut-être menacé une paire de fois. Les élèves, quant à eux, n’auront été que des exécutants mornes et résignés –à moins qu’ils aient choisi de chahuter un peu pour tromper l’ennui…

En fin de période, la maîtresse indique pour chaque élève le degré d’acquisition de chaque compétence travaillée. Chercher un mot dans le dictionnaire : à renforcer. Ranger des nombres dans l’ordre croissant : non acquis. Tenir sa place en formation chorale : acquis. Point. Signature des parents. Et ainsi passe l’année scolaire, parfois égayée d’un projet sans enjeu, plaqué d’en haut, et dont la seule finalité semble être l’obtention d’un article dans le canard local.

On m’accordera que dans toute caricature il y a un peu de vérité… Dans certaines classes à plusieurs niveaux, c’est d’ailleurs souvent encore pire. La notion de classe semble parfois complètement oubliée et seul semble importer le défi de balayer le programme de chaque niveau. On  distribuera une fiche de travail sans intérêt aux élèves d’un niveau afin de se ménager un temps avec les autres : « J’aurai ainsi vingt minutes pour qu’ils comprennent ce qu’est un COD ». Bilan de la journée : là encore rien d’intéressant, rien de vivant.

J’ai eu la chance de découvrir le fonctionnement d’une classe coopérative dès mon premier stage d’observation, en PE1 [ancien nom de l’année de préparation au concours]. L’école Louis Buton d’Aizenay en Vendée fonctionnait alors totalement dans cette perspective. Je me souviens que l’une des consignes d’observation données par le professeur de français de l’IUFM était de lister toutes les situations d’écriture des élèves sur la semaine. Textes libres lus aux camarades, lettres aux correspondants, écriture du bilan de la semaine pour le cahier de vie de la classe, rédaction d’un article pour le journal de l’école, jeux de transformation de phrases…, le formateur avait été bluffé par le nombre d’occasions qu’avaient eu les élèves d’écrire, d’écrire pour de vrai, au cours de la semaine. Et pourtant… cela s’était bien passé ainsi ! J’avais d’ailleurs passé une semaine formidable dans la classe de cycle 3 sereine et pétillante de Noëlle Ducasse. La journée commençait par l’écoute de Radio P’tits Loups, l’émission des maternelles. Puis venaient les textes libres, le plan de travail, un temps d’apprentissage collectif, les créations maths, les présentations de fin de matinée, le marché des connaissances… Dans tous les moments de classe, la pensée était en mouvement, les élèves étaient concernés par ce qui se « jouait », ils étaient engagés dans des projets concrets, originaux et même : susceptibles de changer la vie, ni plus ni moins !

On aura compris que ce premier contact « en tant qu’adulte » avec l’école élémentaire a été extrêmement stimulant et m’a conforté dans mon choix de devenir instit. Si je devais découvrir ensuite que les classes et les écoles coopératives étaient en réalité assez rares, je tentai dès mon premier poste d’utiliser quelques unes des « techniques » Freinet que j’avais découvertes.

Les « présentations » sont pour moi ce qui a été le plus facile à mettre en place : quand ils sont prêts ou le désirent, les élèves s’inscrivent sur le tableau des présentations pour faire partager une poésie, un texte qu’ils ont écrit, une expérience qu’il ont faite, poser un problème aux autres, passer leur brevet de table de multiplication… Dans les écoles tristes, où les discussions dans la salle des maîtres consistent à se plaindre de nos « mauvais » élèves et à se moquer de leurs parents, le simple fait de déléguer la parole aux élèves, d’instaurer un temps quotidien d’échanges horizontaux (entre « pairs » comme disent les bouquins de pédagogie), et non plus verticaux (du maître questionnant vers l’élève répondant) est un peu révolutionnaire ! 

Pour mettre en place les textes libres et le cahier d’écrivain, l’ouvrage de Jean-Marc Guerrien, Du texte libre à l’étude de la langue, publié par l’ICEM dans la collection « Pratiques et Recherches », a été très précieux pour moi. Dès que je l’ai découvert, je me suis lancé dans la pratique quotidienne du texte libre avec une grande sérénité et un enthousiasme que je pense avoir réussi à communiquer à mes élèves. Jean-Marc Guerrien présente dans ce livret des outils et des pratiques qui m’ont tout de suite plu : son système tout simple mais si efficace des « Vigilances », son idée de proposer à nos écrivains en herbe une « réponse » à leur texte (celui d’un auteur qui pourrait lui faire écho), les liens qu’il arrive à tisser entre les textes libres et la grammaire et l’orthographe, etc. L’année dernière, les résultats ont dépassé mes attentes. Les élèves de CE2-CM1 que j’avais pour cinq mois ont pris un grand plaisir à écrire des textes, à les retravailler, à les présenter aux camarades ou à les publier, et ont réalisé de nets progrès dans leur maîtrise du français.

C’est sans doute avec les maths que je suis le moins « Freinétique ». Peut-être parce que l’offre des éditeurs « leaders » est ici plus intéressante que dans les autres domaines… Convenons que les approches constructivistes de Ermel ou de Cap Maths méritent au moins d’être connues ! Lorsque j’aurai de nouveau une classe bien à moi, je pense me lancer dans les créations maths et utiliser de manière moins ponctuelle les fichiers numération publiés par l’ICEM.

Il n’est pas forcément facile de franchir le pas d’un seul coup. On peut aussi se lancer en pédagogie Freinet « par petites touches ». C’est presque nécessaire quand on débarque dans une nouvelle école, et d’autant plus en début de carrière : le mois de septembre est alors un mois extrêmement chargé, au cours duquel il faut à la fois mettre en route sa classe, faire connaissance avec ses élèves, dégager des règles de fonctionnement tout en découvrant celles de l’école, se présenter aux familles et introduire un rapport de confiance avec elles, lancer les premiers apprentissages et les évaluer, etc. Tout cela conduit parfois à mettre un peu de côté ses convictions, à faire des concessions. Je n’ai jamais lu un bouquin de Meirieu en entier mais j’ai grappillé dans l’un d’eux l’idée que la pédagogie partage beaucoup de choses avec le bricolage. Je trouve cela juste. On doit souvent jongler entre des attentes institutionnelles changeantes et en contradiction avec nos sentiments et notre connaissance du terrain, des profils de classe et d’école divers, notre vie personnelle aussi. Par ailleurs, au niveau des apprentissages, reconnaissons que certaines notions ou certains savoir-faire se prêtent bien à une (dé)monstration magistrale, explicite, analytique, systématique, tout ce que vous voulez. Il n’y a pas à en avoir honte. Chez certains élèves, un topo bien senti au bon moment est ce qui permettra de les faire progresser.

Mais la pédagogie Freinet a bien le dernier mot parce qu’elle ne se propose pas seulement de faire progresser les élèves (pas plus qu’elle n’a pour but la validation des Items idiots de l’immonde livret de compétences…), mais de les faire grandir ! Mieux : de les grandir ! Elle est donc davantage un projet de société (d’une société dont les membres pourraient prétendre à l’autodétermination et à l’autogestion, et dans laquelle l’idée qu’on puisse ne rien avoir à faire, ne rien avoir à résoudre ou à réinventer, ne rien avoir à apporter aux autres ou à recevoir d’eux, serait une idée absurde) qu’une manière de transmettre des savoirs. Dans une classe coopérative, il n’y a pas d’exclusion et il n’y a pas de chômage technique. Non pas que ce soit le plein emploi au sens capitaliste du terme : c’est plutôt un espace où peuvent s’exprimer et s’épanouir les projets les plus divers, un espace de bouillonnement, de foisonnement, de créativité, d’une grande gaieté et d’une grande vitalité ! Par là même, nous aussi sortons grandis de l’année scolaire quand celle-ci se termine, parce qu’on a vécu des choses vraies et qui valaient la peine.

Alors je me rends compte que je suis impatient de poser mes valises dans une école et dans une classe charmantes, histoire de créer moi aussi, modestement, quelque chose qui vaille la peine. Parce que je ne sais pas pour vous, mais pour moi, mon article, il m’a sacrément donné envie de me lancer !


Mathieu Trichet,
GD 85


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